« Sabrer dans la politique familiale pour sauver les finances publiques » : la réponse du CESOF à la chronique d’Antoine Buéno dans L’Opinion.

La question budgétaire reste plus que préoccupante en France, avec un déficit public de 100 milliards d’euros au premier semestre 2025. Pourtant, à l’heure d’une houleuse adoption budgétaire, sauver les finances publiques ne peut se faire au détriment des politiques familiales.

Mais Antoine Buéno semble penser l’inverse, ainsi sa chronique du 2 septembre 2025 dans L’Opinion juge utopique l’argument d’un sauvetage budgétaire par la démographie. Il met en avant un paradoxe, celui de soutenir d’un côté les accords de Paris sur le réchauffement climatique, et de l’autre d’appeler au « réarmement démographique[1] » : dans une perspective de politique écologique on ne peut aller dans le sens d’une politique nataliste, ainsi « le déclin démographique est plutôt une bonne nouvelle ». Également d’un point de vue sociétal, « l’efficacité des politiques natalistes est plus que discutable », car, en dépit des milliards consacrés, « la dépopulation et le vieillissement sont des phénomènes assez inexorables ». En somme, « la décroissance démographique ne peut être jugée catastrophique ».

S’il y a la nécessité de s’adapter à ces mutations, cela ne peut se faire au détriment du regard porté sur la démographie et des politiques natalistes, qui sont moins affaires de budget que de vision. En effet, peut-être ne suffit-il pas de mettre de l’argent dans des politiques natalistes pour que la croissance démographique soit à la hauteur des investissements financiers, de même peut-être n’est-ce pas tant le nombre croissant de la population qui a un impact sur « l’empreinte écologique » que le mode de vie[2].

Bien qu’Antoine Buéno se place du côté des « irréductibles », c’est-à-dire du côté de ceux qui renoncent à avoir des enfants par sensibilité écologique[3], et que, partant de ce postulat toute discussion paraisse caduque, quelques éclaircissements sont de mise.  

Il serait ridicule de corréler l’idée d’un « bonheur collectif niché dans l’enfance et la jeunesse des peuples », or si l’on en croit encore de récentes données, comme l’enquête menée en 2020 par l’INSEE[4] sur les ressources et conditions de vie (SRCV), le niveau de satisfaction des individus varie selon la composition familiale. Il n’est d’ailleurs plus à démontrer combien l’isolement, la sédentarité impactent massivement la santé mentale, le niveau de bien-être, de satisfaction, qui sont en partis liés au bonheur.

 

L’étude publiée par l’Ifop[5] en janvier 2025 sur la natalité auprès des Française montre que, selon le statut parental, le niveau de satisfaction dans la vie a lui aussi tendance à s’accroitre, et ce d’autant plus avec le nombre d’enfants. Ainsi, 51% des mères de 3 enfants et plus se sentent assez heureuses, contre 44% pour les mères d’un enfant et 46% pour les nullipares.

 

 

Dans son étude « Ipsos Happiness Index 2025 », Ipsos montre que la famille reste considérée comme une valeur essentielle de la société et comme l’une des conditions du bonheur.

 

 

Dans sa note, Etienne Mercier, directeur Opinion et Santé écrit que « la quasi-totalité des Français considère d’ailleurs que la famille reste la valeur centrale de notre société (90% dont 53% pensent même que c’est « tout à fait » le cas). Là encore, on constate que les plus jeunes, qui pourraient être les plus critiques et estimer que la structure familiale est un carcan qui les empêche d’exercer leur liberté comme ils le souhaitent, considèrent aussi massivement que la famille est le principal élément structurant de la société française (79% des 15-24 ans). » S’il existe de réelles difficultés au sein des familles, pour autant ces dernières demeurent un lieu propice à la satisfaction de vie, aux relations aimantes, et à un cadre de vie stable.

Par ailleurs, si « la dépopulation et le vieillissement sont des phénomènes assez inexorables, liés à des évolutions structurelles de la société », il est important de rappeler que cette courbe de décroissance ne progresserait peut-être pas autant s’il était possible de combler l’écart entre le désir d’enfant jugé actuellement à 2,2 et sa réalité à 1,9[6].  Face à cette situation, une politique familiale reste d’importance afin de soutenir les foyers et les encourager, lorsque l’on sait que les parents ne se sentent pas aidés par les médias, les discours des autorités publiques sur la famille et les actions de l’Etat[7], notamment en ce qui concerne les aides matérielles, les aménagements horaires d’entreprises, et un congé parental mieux rémunéré.

Le constat peut se partager, « des dizaines de milliards consacrés à la politique familiale depuis des décennies [et un] taux de fécondité [qui] ne cesse de chuter », dont la conséquence est une perte de confiance dans cette politique. Pour autant, une chose est d’avoir un budget alloué, une autre d’en user à bon escient, notamment pour favoriser la natalité. Il suffit de penser à l’instauration des « caisse famille » à la fin du XIXème siècle, les indemnités « charge de famille », la prime naissance ou le vote du quotient familial en 1945 dont on peut aisément penser qu’il participa au renouveau démographique d’après-guerre[8]. La question est l’usage du budget, la manière dont les dépenses socio-fiscales sont allouées, distribuées, dans quelles intentions. L’ « abandon des politiques natalistes » viendrait renforcer les difficultés quotidiennes de millions de Français, accentuer une défiance là où les familles ont besoin d’être aidées à retrouver la facilité du quotidien, dans l’accueil, la prise en charge et l’éducation des enfants.

 

 

[1] Le Monde, « Emmanuel Macron annonce un congé de naissance et un plan contre l’infertilité en vue du « réarmement démographique » du pays », 17 janvier 2024.

[2] A bien y regarder, les émissions de CO2 par personne et par pays manifestent qu’en réalité ce n’est pas le nombre d’habitant qui pose problème mais le mode de vie. Voir par exemple https://vert.eco/articles/les-emissions-de-co2-par-personne-et-par-pays-en-un-graphique.

[3] Antoine Buéno, Permis de procréer, Paris, Albin-Michel, 2019.

[4] Insee, « Satisfaction dans la vie et ses différents domaines », in France, portrait social, Edition 2020, https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797628?sommaire=4928952.

[5] Hexagone, sondage Ifop, « La crise de la natalité en chiffres », 30 janvier 2025.

[6] Hexagone, « Crise de la natalité, ce que veulent les femmes », février 2025, https://observatoire-hexagone.org/wp-content/uploads/2025/02/20250130_Hexagone_Dossier-Fecondite_vf.pdf.

Voir également L’Express, « Natalité, le grand paradoxe français : le désir d’enfant reste élevé mais… » https://www.lexpress.fr/societe/natalite-le-grand-paradoxe-francais-le-desir-denfants-reste-eleve-mais-G5GJV74LUBFOZLP5CWERRZVC2E/#:~:text=Une%20enqu%C3%AAte%20de%20l’Institut,mais%20qui%20reste%20suffisamment%20haut..

[7] Polling vox, Etude quantitative sur la natalité, décembre 2023.

[8] Voir Gérard-François Dumont, Pour une renaissance de la politique familiale : liberté, lisibilité et pérennité, Fondapol, décembre 2024.

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